Le projet : historique et perspectives
A) La dysphasie (trouble primaire du langage)
La dysphasie, ou trouble primaire du langage, est un trouble grave du développement du langage et un trouble génétique complexe. C’est un trouble neurodéveloppmental présent dès la naissance et touchant 9,4 % de la population; c’est le trouble de développement le plus fréquent. Au niveau de la population jeunesse, on estime qu’au moins 70 000 à 100 000 jeunes Québécois de 19 ans et moins seraient dysphasiques.
Ce trouble touche des personnes intelligentes et qui veulent communiquer. La majorité des dysphasiques sont des garçons. La dysphasie est différente de l’autisme, différente de la déficience intellectuelle. Les dysphasiques ont un grand désir de communiquer et ils sont intelligents.
Même si la composante la plus visible des impacts est un trouble du langage (qui touche la compréhension du message qui est véhiculé dans le discours ou l'expression verbale de la pensée), la dysphasie est en fait un regroupement de déficits qui touchent non seulement le langage, mais aussi d’autres fonctions neurologiques. Les troubles associés sont la norme (ex : TDAH, les troubles de motricité, troubles de santé mentale).
La dysphasie occasionne des troubles d'apprentissage, mais c'est plus que cela; c'est un trouble de santé, occasionnant des difficultés dans toutes les sphères de la vie, et cela, la vie durant.
Note : termes en anglais : specific language impairment (SLI) ou developmental language disorder (DLD)
B) Historique du projet
François Gosselin, Josée Pelletier et moi, nous nous sommes rencontrés en 2012 dans activités de bénévolat. En 2014, nous avons pris la décision de mettre sur pied un projet pour sensibiliser la population québécoise à la dysphasie.
En tant que personnes touchées par cette problématique, nous avons voulu être proactifs et présenter notre vision de la situation, en se basant, à la fois sur des articles scientifiques, mais aussi sur notre vécu. Cette démarche est certes risquée, mais originale. Notre travail est fait de façon complètement bénévole.
Au début, notre projet portait le nom d’action TPL (pour "Action trouble primaire du langage »). Nous avons vite décidé de changer le nom pour « ParlonsDysphasie ». La dysphasie est maintenant appelée « trouble primaire du langage », mais nous avons décidé de garder le nom dysphasie, puisque les familles utilisent beaucoup ce terme. C’est aussi vrai pour plusieurs associations de dysphasie, au Québec ou en Europe française.
Notre projet comporte deux volets principaux : donner de l’information sur la dysphasie & le vécu des dysphasiques et demander l’appui des gens à cette cause.
Notre projet comporte plusieurs activités, dont la pétition n’est qu’un des volets. C’est au courant de l’année 2016 que nous avons commencé à réfléchir à l’idée de faire une pétition. Initialement, nous pensions faire une pétition sur le site de l’Assemblée nationale. Toutefois, comme la dysphasie, le manque d’information et de services sont des questions complexes, nous avons pris la décision de faire un site internet. Nous voulions expliquer ce qu’est la dysphasie et les circonstances du manque de recherche et de services qui rendent difficile la vie des dysphasiques. Nous avons aussi eu l’idée de proposer des solutions, à divers niveaux. La pétition s’est terminée le 15 mai 2017.
Par ce projet, nous voulons sensibiliser à la dysphasie et, en particulier, à la nécessité de la recherche et de la réadaptation. Il manque en effet d'études sur ce trouble. Un exemple: la dysphasie touche 7 fois plus de personnes que l'autisme, mais le nombre d'articles est 14 fois moins grand.
Nous nous intéressons particulièrement aux jeunes de plus de 5 ans, parce que cette tranche d'âge est délaissée et que les apprentissages à cet âge nécessitent de bonnes habiletés langagières. La vie professionnelle nécessite aussi de hautes habiletés de langage.
Sur notre site internet, nous avons donné des informations sur la situation au Québec et avons aussi ajouté des articles sur l'actualité et la recherche. Nous avons même des articles sur la réadaptation orthophonique des dysphasiques plus âgés (voir article de Susan Ebbels (UK)). Ce site s'adresse aux chercheurs, aux professionnels travaillant auprès de cette clientèle, les gestionnaires, les personnes impliquées dans la planification des services pour les personnes atteintes de trouble primaire du langage et les personnes ayant des contacts avec des personnes dysphasiques.
https://www.parlonsdysphasie.com/
Pour ce qui est de la récolte d’information, nous avons consulté plusieurs articles scientifiques d'ici et d'ailleurs, participé à des colloques sur la dysphasie et avons discuté avec des professionnels et chercheurs québécois (dont France Beauregard, Phaedra Royle, Bernard Michallet, Dave Ellemberg, etc), mais aussi étrangers (dont J. Bruce Tomblin (USA), Susan Ebbels (UK), Dorothy Bishop (UK) et Nuala Simpson (UK)).
Voici quelques-unes des démarches que nous avons faites dans le cadre de notre projet. Nous avons contacté plusieurs personnes, pour les sensibiliser à la dysphasie (chercheurs, cliniciens, enseignants, décideurs dans le réseau public de l’éducation et de la santé). Nous avons partagé de l’information sur des groupes de parents. Nous avons participé à l’élaboration d’articles de sensibilisation (ex. : article portant sur les mères qui se consacrent à leur enfant différent par Marie-Hélène Verville, journaliste à la Gazette des femmes en mars 2016). Nous avons participé à un court reportage de sensibilisation à Québec matin weekend en avril 2017. Monsieur Gosselin a fait quelques présentations personnelles sur le vécu des dysphasiques dans le réseau scolaire.
Nous avons participé à certains groupes de discussions d’équipes du réseau de la santé. Nous avons fait des présentations à une quarantaine d’orthophonistes au CHU Ste-Justine en juin 2015. Nous avons participé au congrès international de l'École d'orthophonie et d'audiologie de l'Université de Montréal en novembre 2016, au congrès de l'Association des orthophonistes et audiologistes du Québec à Québec en avril 2017. Nous avons présenté nos préoccupations à Orthophonie et Audiologie Canada, à l’attaché politique au cabinet de Lucie Charlebois, ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, au président de l'Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec, Monsieur Paul-André Gallant, en mai 2017, etc.
Site internet : https://www.parlonsdysphasie.com/
C) Membres du projet Parlons Dysphasie
François Gosselin est un jeune homme dysphasique, très impliqué dans le domaine communautaire, conférencier sur demande au niveau du milieu de l’éducation. Il a aussi appris la langue des signes québécois (LSQ)pour aider la population sourde.
Josée Pelletier est éducatrice dans le réseau scolaire depuis 20 ans. Deux de ses enfants sont dysphasiques.
Pascale Durocher a un jeune enfant dysphasique. Elle a fait ses études en médecine et droit de la santé. Son expérience de travail est variée, allant du droit médical, à la recherche, au travail de représentante en prévention au CRSSS de la Montérégie et dans le milieu pharmaceutique durant plusieurs années. Elle a aussi fait du bénévolat au niveau communautaire et dans le milieu de l’éducation durant près de 15 ans (ex. : les conseils d’établissement et le comité consultatif des services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (CCSEHDAA)).
D) Constats
Milieu de la santé : Sauf exception, il n’y a pratiquement aucun service de santé spécialisé dans le réseau public pour ces jeunes au-delà de l’âge de 5 ans. En santé mentale, 60 à 80 % des consultations en pédopsychiatrie seraient reliées aux troubles du langage. Pourtant, même si ce trouble est persistant, les progrès sont possibles avec la réadaptation et les coûts sont peu élevés (4000 $ par dysphasique par année en centre de réadaptation publique).
Milieu scolaire : c’est seulement 1/10 des dysphasiques qui sont reconnus en milieu scolaire. La majorité des jeunes avec troubles d’apprentissage sont des jeunes avec troubles de langage. La majorité des élèves avec troubles de langage ne sont pas reconnus comme handicapés et n’ont pas de services spécialisés en milieu scolaire. L’accès aux technologies de l’information est difficile pour les jeunes en difficulté n’ayant pas de code de handicap (70 % des budgets étant réservés au 20 % des élèves ayant un code de handicap).
Actuellement, au Québec, il n'y a aucune clinique spécialisée pour les dysphasiques de plus de 6 ans et aucun centre de recherche sur les troubles du langage. Aux États-Unis et au Royaume- Uni, il y a de la recherche. À Oxford, il se fait de la recherche génétique sur le trouble primaire du langage depuis une dizaine d’années.
E) Perspectives
La dysphasie donne des troubles d'apprentissage en milieu scolaire, mais occasionne aussi plusieurs difficultés, tout au long de la vie et en dehors du milieu scolaire.
Le trouble primaire du langage n’est plus considéré comme un trouble spécifique du langage ; il touche le langage, mais aussi plusieurs autres fonctions cognitives. De plus, l’association des troubles est la norme, plutôt que l’exception (ex. : TDAH, les troubles moteurs, la dyspraxie, le trouble de traitement auditif, les troubles de déglutition, l’anxiété). Ces troubles, combinés au trouble du langage, nécessitent des interventions spécifiques, par des professionnels de diverses spécialités (orthophonie, audiologie, médecine, physiothérapie, ergothérapie, neuropsychologie, musicothérapie, orthopédagogie, etc.).
Les difficultés scolaires des dysphasiques ont des bases profondes et multiples et nécessitent une rééducation au niveau du langage oral et des autres fonctions touchées. Sans cette rééducation, en particulier en orthophonie, leurs troubles à l’oral et à l’écrit persisteront.
Les dysphasiques peuvent avoir besoin de compensations, mais nous voulons appuyer le fait que la réadaptation dans le sens de rééducation (ie. thérapie, restauration) est essentielle.
La réadaptation fonctionne, bien au-delà de l’enfance. Des chercheurs l’ont démontré dans des recherches, aux États-Unis et au Royaume-Uni par exemple (ex.: travaux de Dorothy Bishop et de Susan Ebbels). Mais pour être efficaces, ces traitements doivent être donnés de façon intensive, sur de longues périodes. La poursuite de la réadaptation chez tous les dysphasiques au-delà de 5 ans permettrait de minimiser les impacts sérieux de la dysphasie dans la vie de tous les jours, minimiserait les impacts psychosociaux des adultes et aurait aussi comme avantage d’améliorer la qualité des apprentissages des jeunes dysphasiques. Ainsi, avec la réadaptation, on ferait d’une pierre 2 coups : amélioration de la santé et des apprentissages. Les coûts annuels de la réadaptation ne sont que de 4000 $ par année, par jeune, ce qui est peu en comparaison aux coûts directs et indirects si on ne fait rien.
Nos arguments, dans ce dossier, touchent donc, non seulement l’aide au niveau scolaire, mais plus particulièrement les aspects médicaux et la nécessité de recherche et de services de santé, incluant la rééducation.
Les personnes porteuses de dysphasie sont des personnes intelligentes et persévérantes. À cause de leur difficulté à prendre parole, on se doit d’être leur porte-parole.
Pascale Durocher
Documentaliste, rédactrice et responsable du site internet Parlons Dysphasie